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6 février 2002

Éric Gourdeau a fait des autochtones la cause de sa vie
Monique Giguère (Le Soleil)

Un sage. Un grand mandarin. Un vieil ami des autochtones tire sa révérence.Quarante ans après avoir mis sur pied le ministère des Richesses naturellesavec René Lévesque...

Par Publié dans Le Soleil, dimanche 20 janvier 2002, p. A7 Merci au Soleil pour la permission de reproduire le texte ici.



Un sage. Un grand mandarin. Un vieil ami des autochtones tire sa révérence.Quarante ans après avoir mis sur pied le ministère des Richesses naturelles avec René Lévesque et fondé la Direction générale du Nouveau-Québec, Éric Gourdeau ferme son bureau d'expert-conseil en foresterie et économie du1070, de la Tour. Avec la même « admiration fondamentale « qu'en 1962 pour les autochtones. Une foi et un respect qui ont survécu au temps et ne se sont jamais démentis.



« En 1962, j'étais monté à plusieurs reprises dans le Nord rencontrer les Inuits. Leur sort m'a immédiatement intéressé. Je suis tombé en état d'admiration devant leur capacité de survie pendant des siècles. Dans la toundra. Un pays sans arbres. Ça prenait une force physique et morale extraordinaire pour survivre dans des conditions pareilles. Au milieu de la pierre, de la mousse et des cycles capricieux des caribous », raconte-t-il de ses premiers contacts avec les Inuits.



Éric Gourdeau a fait ses boîtes en fin de semaine dernière. « J'arrête de vivre. Je commence à exister », soupire le septuagénaire, expliquant que » ce qui a fait sa vie jusque-là ne sera plus ». « J'appelle ça de l'existence parce que tellement de fois dans ma vie professionnelle j'ai eu l'impression d'être présent aux bons endroits aux bons moments. Le sentiment de contribuer de façon régulière au bien public. Je ne pourrai plus avoir cette impression. Mais je vais continuer à exister. Il me reste à découvrir les beautés de l'existence. »



La vie pour Éric Gourdeau, ce sont 18 années dans la haute fonction publique québécoise, l'essentiel du temps comme sous-ministre de René Lévesque et,brièvement, de Bernard Landry. Dix-huit années qui se divisent en deux blocs. Son premier « mandat », de l961 à 1968, est marqué par la création du ministère des Richesses naturelles. Gourdeau fait partie du braintrust de René Lévesque avec Michel Bélanger. Il crée aussi la Direction générale du Nouveau-Québec. Son second « mandat », qui va de 1977 à 1986, se déroulera essentiellement sous un nouveau sigle, le SAGMAI (Secrétariat des activités gouvernementales en milieu amérindien et inuit) qui, en 1978, remplace la Direction générale du Nouveau-Québec.



Mais surtout, il participera pendant cette période à l'adoption de balises qui guideront le gouvernement du Québec dans l'élaboration de sa politique à l'égard des autochtones.



« Dans la foulée de la Convention de la Baie-James, on a découvert qu'une politique vis-à-vis des autochtones, ça ne se détermine pas seul de façon paternaliste et unilatérale, explique-t-il. Il faut que la politique soit bâtie conjointement avec les autochtones. »



D'où la mise en place de balises qui vont conduire à la résolution de l'Assemblée nationale du 20 mars 1985, reconnaissant l'existence au Québec de 10 nations autochtones, de leur droit à l'autonomie, à leur culture, à leur langue, à leurs traditions, et le droit de participer au développement économique du Québec et d'en bénéficier. La résolution précise que les droits des autochtones s'appliquent également aux hommes et aux femmes »contrairement, fait observer Éric Gourdeau, à la Loi fédérale de 1876 sur les Indiens ».



En 1984 intervient la première entente de « nation à nation « avec les Mohawks de Khanawake à propos de la construction d'un nouvel hôpital. »C'était une entente inédite, insiste l'ex-haut fonctionnaire. On donnait aux Mohawks l'argent pour bâtir leur hôpital et on les soustrayait à l'application de la Loi québécoise sur la santé pour leur permettre d'administrer à leur manière et conformément à leurs valeurs. Il était indiqué que l'entente avait préséance sur la loi. »



Terrorisme psychologique



Éric Gourdeau ne fait pas l'autruche. Il reconnaît que les autochtones ont gagné la bataille de l'opinion publique internationale. Qu'au Canada, la Cour suprême leur a accordé à peu près tous les droits. « À tel point qu'ilest presque devenu sacrilège de mettre en doute les reproches qu'ils nous adressent, déclare-t-il. Les autochtones ont raison en tout. Ils peuvent faire du terrorisme psychologique sur la scène internationale. S'opposer à toutes nos politiques. Mais c'est leur droit, poursuit-il. Une étape à traverser dans l'évolution de nos relations. Et c'est quand même mieux que quand ils se taisaient et qu'on les ignorait. C'est bon qu'ils puissent s'exprimer sur la scène internationale. »



À propos du terrorisme psychologique, Gourdeau tient à mettre un ou deux bémols. « Le terrorisme qu'ils pratiquent, ça ne consiste pas à faire sauter les lignes de transport d'énergie. À saccager les infrastructures. Ça n'a rien à voir avec le terrorisme du 11 septembre. Sur toute la longueur du réseau, ils seraient des terroristes, au sens plein, s'ils faisaient sauter les pylônes ou les lignes de transport. En fait, tout ce qu'ils font, c'est de faire peur au monde. »



L'ex-sous-ministre de René Lévesque met en garde contre une interprétation hâtive de l'attitude des Premières nations. « Quand les Amérindiens s'opposent à une politique, ça ne signifie pas qu'ils refusent d'évoluer,prévient-il. Ça veut dire qu'ils veulent avoir leur mot à dire dans leur évolution. »



Ainsi, quand les autochtones se prononcent contre la souveraineté du Québec,Éric Gourdeau soutient que ça ne veut pas dire que la souveraineté du Québec devient impossible. « Pour les médias, si 9000 Cris s'opposent à l'indépendance du Québec, leur intervention revêt une telle force qu'elle semble primer sur quatre millions de Québécois qui se déclarent favorables à la souveraineté. Ce n'est pas tout à fait ça », dit le fondateur de la Direction générale du Nouveau-Québec qui ajoute que les autochtones seraient bien servis par l'indépendance du Québec.



« La légitimité d'un Québec indépendant est intimement liée à la reconnaissance des autochtones. Ni les États-Unis ni la France ne reconnaîtraient la souveraineté du Québec sans que les autochtones obtiennent leur juste part. Ce qui est considéré essentiel pour leur survie et leur développement. Les autochtones seraient bien partagés avec la souveraineté », assure-t-il.



Éric Gourdeau s'insurge contre les Blancs qui trouvent les gouvernements trop généreux avec les autochtones. Qu'il s'agisse des 225 M $ de la Convention de la Baie-James, de l'entente récente de 3,5 MM $ avec les Cris ou encore de leur affranchissement de toute taxe ou impôt. « C'est leur héritage, proteste-t-il. Aurait-on idée de priver quelqu'un de son héritage? »



Acteur de la Révolution tranquille, Gourdeau ferme boutique. « Mais je ne m'engage pas auprès de mon confesseur à ne plus accepter de travail. J'ai un bureau dans ma maison de Boischatel. »



LE QUÉBEC SERA SOUVERAIN D'ICI 10 ANS
La mondialisation est même devenue un argument de plus en faveur de l'indépendance



Éric Gourdeau n'est pas un souverainiste de la première heure. « Je n'étais pas encore souverainiste à la fin des années 1960, confesse l'ex-sous-ministre de René Lévesque. Je le suis devenu au début des années1970. Quand Maurice Lamontagne a écrit que le Canada n'était pas une confédération, mais une fédération. Pour des gens comme moi, c'était toute la différence au monde. »



« Ce qui m'a empêché d'être souverainiste dans les années 1960,explique-t-il, c'est que je croyais encore possible le rétablissement de la Confédération canadienne par l'action de René Lévesque. La confédération,c'était le partage des responsabilités et des juridictions inscrit dans la Constitution. Mais ce concept a été modifié par le rapport Lamontagne. Au début des années 1970, je suis devenu convaincu qu'il n'y aurait pas de retour à l'esprit de 1867. Que seule la souveraineté-association pouvait remettre les choses en place. Et j'ai commencé à voter PQ. Mais je n'ai jamais pris ma carte de membre. »



Éric Gourdeau a assisté impuissant à l'envahissement du fédéral dans tous les champs de compétence provinciale. « Le pouvoir de dépenser a servi de prétexte à Trudeau pour s'ingérer dans les juridictions provinciales. Dans l'éducation, la santé, le développement économique. Ottawa s'est opposé à la création d'une Caisse de dépôt au Québec, rappelle-t-il. Le plus grave,c'est que le pouvoir de dépenser, ça n'existe pas dans la Constitution canadienne. Sauf circonstances exceptionnelles comme en cas de guerre. Le pouvoir de dépenser ne permet surtout pas de faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement. »



Dans ces conditions, on aurait pu croire qu'Éric Gourdeau aurait sauté sur l'occasion quand René Lévesque lui a demandé d'être candidat du Parti québécois à l'élection de 1970. Mais c'est mal le connaître. « J'ai dit non parce que le parti de M. Lévesque avait pris comme résolution de décréter la souveraineté s'il était élu, indique-t-il. Je ne me sentais pas capable de défendre cette position-là. J'exigeais un référendum. »



Le déclin



Mais depuis qu'il est devenu indépendantiste, Éric Gourdeau n'a jamais remisson option en question. La mondialisation est même devenue un argument de plus en faveur de l'indépendance. « Le grand danger de la mondialisation,c'est que les petits États perdent leur signification au profit des multinationales et des grandes nations, analyse-t-il. Que le sort de l'univers se règle entre un petit nombre de puissances. À la limite par une seule grande puissance, les États-Unis. Cela serait extrêmement dangereux et constitueraient un sérieux accroc à la démocratie. »



À cet égard, l'ex-haut fonctionnaire est convaincu que le déclin de l'empire américain a commencé le 11 septembre. « L'attaque terroriste contre les tours du WTC a donné le signal du déclin », estime-t-il, expliquant que cette conclusion lui venait du fait que c'est impossible pour un empire de durer indéfiniment. « Faut que ça tombe ! lance-t-il. Parce que c'est impossible pour un empire de toujours savoir ce qu'il est bien de faire pour l'ensemble du monde. »



Dès maintenant, Gourdeau est frappé du rôle que peuvent jouer les petites nations. « Le traité d'Oslo, c'est la Norvège qui a pris l'initiative de convoquer Palestiniens et Israéliens, souligne-t-il. C'est intéressant devoir que, sur le plan international, des pistes de solution peuvent venir de petites nations, par définition plus libres de considérations politiques et économiques.



Vu l'intérêt grandissant des Québécois pour tout ce qui se passe dans le monde, Éric Gourdeau croit que le Québec va vouloir jouer un rôle plus important sur la scène internationale. « Le Québec est en situation exceptionnelle, dit-il. Il a tout ce qu'il faut pour aspirer à la souveraineté et a déjà fait sa marque en matière d'environnement et de droits de la personne. »



Éric Gourdeau le croit dur comme fer, « ce sont les petites nations qui vont sauver le monde et assurer la survie de la planète. Et Québec sera du nombre comme pays souverain ».



LA BOÎTE AUX SOUVENIRS « DU SAGE »



Un demi-siècle de vie professionnelle, ça laisse des cimetières de souvenirs. Et Éric Gourdeau en a engrangé toute une moisson. De ses années de collaboration avec René Lévesque, il retient l'image d'un homme qui » intelligeait « les choses, c'est-à-dire qui les appréhendait de l'intérieur avant de juger et de trancher.



« Ce qui me reste de M. Lévesque, ce sont nos conversations et nos discussions. Son comportement d'écoute », se souvient-il. Et Gourdeau, boss de chantier, de rappeler cet incident de 1961 où il avait prévenu sa secrétaire, une Beauceronne, que s'il se présentait un gars en bottes de travail et bretelles à son bureau, il fallait l'accueillir avec tous les égards. « Vous connaissez ça, un charretier ? lui avait-il demandé.Ma porte sera toujours ouverte pour ce gars-là. »



Or, un jour, un Lévesque du Nouveau-Brunswick qui avait travaillé sur les chantiers de Gourdeau à Forestville se pointe à son bureau. Sur ses talons arrive un René Lévesque pressé qui veut voir son conseiller. La que son patron reçoit un visiteur. Le ministre des Ressources hydrauliques s'assoit sur une chaise droite et attend. Rien ne bouge. Il se lève et frappe à la porte. Il explique qu'il est en retard et veut absolument parler à Gourdeau avant le conseil des ministres. Confus, le sous-ministre s'excuse et lui présente l'autre Lévesque. Fasciné, Lévesque,le ministre, oublie qu'il est pressé, s'assoit et se met à causer chantiers,chevaux et famille. « Ça m'avait frappé ! Il avait passé une grosse demi-heure avec mon gars, se rappelle Éric Gourdeau. C'était ça sa façon d'être à l'écoute. »



L'ancien collaborateur de René Lévesque se souvient d'un temps encore plus lointain où le journaliste René Lévesque animait Point de mire sur les ondes de Radio-Canada. « À l'époque, j'opérais des chantiers à Saint-Raymond de Portneuf. Et je me souviens de bûcherons, des gens qui n'avaient même pas une 5e année, qui arrivaient le lundi matin et discutaient entre eux de la situation au Moyen-Orient. C'était incroyable. Ils avaient vu Point de mire la veille. »



Parmi ses autres souvenirs, il y en a un qui touche les Inuits qui s'étaientorganisés pour jouer un bon tour au prince Philippe, époux de la reine Elisabeth, lors d'un voyage à Poste-de-la-Baleine (Kuujjuarapik) en 1958.



« Le duc d'Édimbourg devait amerrir dans la baie d'Hudson et emprunter un radeau pour joindre la rive, raconte Éric Gourdeau. L'esprit à la plaisanterie, les Inuits s'étaient arrangés pour que le radeau cale et que le royal personnage se mouille les pieds. « Ce qui arriva en fait au plus grand plaisir des Inuits. « Ils s'étaient vraiment amusés. C'est le genre de tour qu'ils aiment jouer. C'est leur bon caractère. »



La boîte aux souvenirs d'Éric Gourdeau en comporte bien d'autres. Mais il serait trop long de tout raconter.





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